L’histoire des cocktails

L’origine du mot cocktail

Il serait vain de recenser toutes les histoires expliquant l’origine du mot “cocktail” et non “coctail” ou “coktail”. L’étymologie anglaise est certes très claire : la “queue de coq” désigne en effet sans équivoque une composition aux multiples couleurs, et donc aux ingrédients variés réunis dans une présentation unique.

Mais son origine précise restera à jamais inconnue. Les habitués des bars savent bien que ces lieux sont appréciés tout autant pour leurs histoires de comptoir que pour les boissons qu’on y sert. Et l’origine du mot a donné lieu à de nombreuses légendes, totalement invérifiables. On relèvera simplement un point commun à beaucoup d’entre elles : la présence d’une jeune fille, serveuse d’auberge ou fille du maître de maison, qui eut un jour l’idée saugrenu de mélanger plusieurs boisson; entre elles. Dans ce bastion fortement misogyne qu’ont longtemps constitué bars et débits de boissons, cette explication se révèle assez savoureuse…

La version la plus courante raconte comment une princesse mexicaine, Xoctl, offrait des boissons à des officiers américains reçus à la cour de son père. Les officiers n’avaient pas compris que Xoctl était le nom de la princesse et pensaient que c’était le nom de la boisson. D’où le terme de “coctail”, qui serait ainsi entré dans notre vocabulaire pour désigner une boisson exotique, fatidique et absolument délicieuse.

En 1779, Miss Betty Flanagan, propriétaire de la “Vieille Taverne”, près de Yorktown, aurait crée un mélange qu’elle nomme Bracer, breuvage qu’elle présente dans une bouteille en forme de queue de coq. Ses clients, soldats du Marquis de Lafayette, mêlés aux combattants américains, apprécient particulièrement cette boisson. Peu familiers de la langue anglaise, ils ne retiennent que l’expression “coktail”. Lors de leur retour au pays natal, ils rapporteront l’idée et l’expression à leurs compatriotes.

Il est certain, dit-on, que Monsieur de Toulouse-Lautrec, peintre célèbre de la fin du XIXeme siècle, fut l’un des premiers à confectionner des mélanges que l’on qualifierait aujourd’hui de mélanges atomiques. II réunissait dans son atelier parisien des amis auxquels il les faisait goûter. Bien évidemment, aucune règle n’était respectée. II mélangeait un peu n’importe quoi, ce qui devait laisser des traces et des résultats désastreux.

Le mot “cocktail” viendrait-il plutôt de l’histoire de ce bordelais qui, ayant inventé un mélange d’alcool, l’exporta en Amérique où il devint “coctail” ? Est-ce encore la légende de cette fille d’un cabaretier américain qui, ayant perdu son coq à la queue si colorée, offrit un breuvage à l’homme qui le retrouva et baptisa cette boisson “coktail” ? Le mot cocktail vient-il du langage populaire du XVllleme siècle qui signifie “à queue redressée” ? Il aurait tout d’abord désigné, en anglais, les chevaux bâtards, les demi-sang et, par extension, les tocards sur un champ de courses. Du cheval aux boissons, comment le glissement a-t-il été possible ? Peut-être par le biais du caractère bâtard, qui différencie les boissons mélangées des boissons pures.

Le cocktail à travers l’Histoire

Il est impossible de dater précisément l’émergence des cocktails ni d’identifier l’inventeur du premier mélange. Cependant, pour que cet art naisse, plusieurs conditions devaient être réunies : des spiritueux de qualité suffisante, des consommateurs curieux d’explorer de nouvelles saveurs, et des lieux appropriés avec des professionnels capables d’innover.

Ces éléments convergent vers la seconde moitié du 19ème siècle, période où les distillateurs maîtrisent enfin leur savoir-faire pour proposer des alcools stables et variés. Le développement commercial permet la découverte de spiritueux venus d’horizons lointains, tandis que l’émergence d’une bourgeoisie aisée crée une clientèle avide de nouveautés.

L’influence britannique des cocktails

La Grande-Bretagne, forte de son hégémonie mondiale au 19ème siècle, est la première société à s’intéresser sérieusement à ces nouvelles préparations. Son empire colonial lui permet de découvrir en avant-première de nouveaux spiritueux comme le rhum des Caraïbes.

C’est également outre-Manche que se développe le gin. Cet alcool de grain, initialement de qualité médiocre et fortement aromatisé au genièvre, constitue paradoxalement une base idéale pour des compositions plus sophistiquées. Les officiers britanniques, de retour des colonies, popularisent le mélange gin-quinine (ancêtre du gin tonic) utilisé contre la malaria.

Sous le règne de Victoria, apparaissent les “gin palaces” : établissements luxueux avec boiseries exotiques et glaces taillées, où l’on sert du London Dry Gin accompagné de soda, citron et eau de quinine. Ces lieux voient naître les premières compositions sophistiquées, alors qu’en France on ne connaît encore que les ratafias et quelques vermouths.

L’explosion des cocktails aux USA

Les États-Unis s’emparent rapidement de cette innovation. En 1806, le terme “cocktail” apparaît pour la première fois dans un journal américain, défini comme “une boisson stimulante composée de spiritueux, sucre, eau et bitters”.

En 1862, Jerry Thomas, barman new-yorkais, publie “The Bartender’s Guide”, premier ouvrage dédié aux cocktails. Il y présente 236 recettes, dont seulement treize cocktails à proprement parler, décrits comme “une invention moderne servie lors de réunions sportives”.

L’innovation technologique accélère le mouvement : l’apparition des machines à glace artificielle dans les années 1870 révolutionne la profession. La glace devient l’ingrédient indispensable qui transforme définitivement l’art du cocktail.

L’âge d’or et la prohibition

À la fin du 19ème siècle, Manhattan et Martini Dry deviennent les références des établissements de prestige : paquebots, hôtels de luxe, clubs privés. Les cocktails symbolisent le raffinement et l’art de vivre d’une élite fortunée.

Paradoxalement, la Prohibition (1920-1933) booste créativité et popularité. Le 18ème amendement interdisant tous les alcools, les “speakeasies” se multiplient. Face aux spiritueux frelatés et dangereux, les barmen développent des recettes complexes pour masquer les goûts désagréables : c’est l’époque du Pussyfoot et des mélanges audacieux.

Cuba devient temporairement la capitale mondiale des cocktails. Les Américains s’y rendent pour des week-ends “mouillés”, popularisant Daiquiri, Cuba Libre et autres spécialités locales. Cette période forge une école cubaine du cocktail qui influence encore aujourd’hui la mixologie mondiale.

Vers un art reconnu du cocktail

L’abrogation de la Prohibition en 1933 marque un tournant. À partir des années 1940, le monde des barmen se structure : création de l’International Bartender Association, établissement de règles strictes, organisation de concours internationaux.

Les professionnels découvrent continuellement de nouveaux ingrédients : vodka russe, tequila mexicaine, fruits exotiques, liqueurs sophistiquées. Les grandes marques soutiennent cette évolution, y trouvant de nouveaux arguments pour valoriser leurs produits.

Trois pôles dominent désormais cet univers : les Anglo-Saxons (prééminence historique), les Italiens (maîtrise des vermouths et liqueurs complexes), et les Français (excellence dans l’accueil et l’art de vivre).

La démocratisation des cocktails

Avec la société de consommation, les cocktails ne sont plus l’apanage des élites. La quasi-totalité des ingrédients devient accessible, permettant aux amateurs de s’initier aux recettes classiques et d’expérimenter leurs propres créations.

Aujourd’hui, une nouvelle révolution se dessine avec la “mixologie craft” : retour aux produits artisanaux, créations sur-mesure, techniques innovantes. Les barmen contemporains rivalisent d’inventivité, transformant leurs établissements en véritables laboratoires gustatifs.

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